Quel effet de l’inflation sur la progression actuelle des salaires ?
La reprise de l’inflation contribue à une accélération des salaires : la progression est plus importante au niveau du Smic, grâce aux règles de revalorisation automatique qui garantissent le pouvoir d’achat, mais plus faible à des niveaux de salaire plus élevés.
Depuis le 4e trimestre 2021, la hausse de l’inflation et les règles de revalorisation du Smic conduisent à augmenter cinq fois ce dernier : il passe de 10,48 € brut par heure au 1er octobre 2021, à 10,57 € au 1er janvier 2022, 10,85 € en mai 2022 et 11,07 € en août 2022 ; avec la revalorisation du 1er janvier 2023, le Smic atteint 11,27 € brut par heure (graphique 1). Le Smic croît ainsi de 6,6 % en 2022, et de près de 10 % depuis le 1er janvier 2021.
Les salaires de base progressent moins vite que l’inflation et le Smic
Le rythme et l’ampleur des hausses du Smic en 2021 et 2022 ne se répercutent que partiellement sur la distribution des salaires de base : entre les 3e trimestres 2021 et 2022, ces derniers progressent de 3,7 % (graphique 2). Sur une période comparable, entre octobre 2021 et août 2022, le Smic augmente de 5,6 %, soit près de 2 points de plus. L’inflation atteint également 5,4 % sur la même période. Ainsi, le salaire mensuel de base en termes réels recule sur la période, alors que le Smic réel ne diminue pas grâce aux mécanismes de revalorisation automatique qui assurent le pouvoir d’achat des personnes rémunérées au Smic.
Cette différence s’explique par plusieurs facteurs :
- D’une part, les négociations individuelles ou collectives de salaire n’ont lieu plusieurs fois par an que de manière exceptionnelle ; il peut être nécessaire d’attendre parfois une année, voire davantage, pour que les changements de contexte économique, y compris les hausses du Smic, soient pris en compte dans ces négociations. Ce phénomène transparaît notamment dans la conformité des minima de branche par rapport au Smic courant 2022 : malgré une activité de négociation dynamique, les revalorisations fréquentes du Smic le mènent régulièrement au-delà des rémunérations conventionnelles. Ainsi, début septembre 2022, juste après la revalorisation du 1er août, 131 branches sur les 171 du secteur général présentent au moins une rémunération conventionnelle inférieure au Smic. Fin décembre 2022, 57 se trouvent encore en situation de non-conformité, ce qui illustre bien le temps de réaction des salaires conventionnels.
- D’autre part, les salaires les plus élevés, et donc les plus éloignés du Smic, réagissent en général moins à une augmentation du Smic que ceux qui en sont proches : leur niveau étant moins contraint par les institutions du marché du travail, leurs évolutions dépendent davantage d’autres facteurs (résultats des entreprises, pouvoir de négociation des salariés, etc.).
- Enfin, au-delà de ces rigidités sur les salaires des personnes restant dans leur poste, une partie de l’ajustement des salaires provient également des personnes qui entrent sur le marché du travail ou changent d’emploi. Pour elles, les rigidités peuvent être moindres, mais les évolutions salariales via les flux d’emploi demandent également du temps pour se déployer.
À court terme, la distribution des salaires de base se resserre
La progression plus rapide du Smic par rapport aux autres salaires conduit à court terme à un resserrement de la distribution des salaires. Ce phénomène transparaît dans les évolutions par catégorie socioprofessionnelle des salaires de base : entre le 3e trimestre 2021 et le 3e trimestre 2022, ceux des ouvriers et des employés augmentent de 4,5 % environ, tandis que ceux des cadres et des professions intermédiaires croissent de 2,8 % environ (graphique 2). Dans les deux cas, ils progressent moins que le Smic.
Cette compression de la distribution des salaires intervient toutefois après une longue période où le Smic augmentait plus modérément que le reste des salaires. En l’absence de « coup de pouce » depuis 2012, le Smic a crû de 8,8 % entre début 2012 et fin 2019, alors que le salaire mensuel de base gagnait 11,7 % et le salaire horaire de base des ouvriers et employés (qui sert de référence à la formule de revalorisation du Smic) 11,6 %. La hausse rapide du Smic en 2021 et 2022 conduit ainsi à un rattrapage, voire un léger dépassement, au 3e trimestre 2022 (graphique 3), avec une hausse du Smic de 20,1 % depuis 2012, contre 19,0 % pour le salaire mensuel de base et 19,8 % pour le salaire horaire de base des ouvriers et employés.
Après de fortes variations en 2020 et 2021 liées aux effets de l’activité partielle sur la masse salariale, le salaire moyen par tête (SMPT) évolue de façon comparable au salaire de base en 2022. Les primes et compléments de rémunération ainsi que d’éventuels effets de composition de la main d’oeuvre, dont le SMPT tient compte, ne semblent donc pas influer significativement sur l’évolution des salaires sur les derniers trimestres.
Sur la période récente, les salaires de base augmentent plus vite dans les secteurs où la proportion de salariés rémunérés au Smic est élevée
Dans les secteurs d’activité où la proportion de salariés rémunérés autour du Smic est élevée, les hausses du salaire de base sont plus importantes entre les 3e trimestres 2021 et 2022 (graphique 4). L’hôtellerie-restauration est par exemple le secteur où la proportion de salariés concernés par la revalorisation du Smic du 1er janvier 2022 est la plus importante (42 %). Il s’agit aussi du secteur où la progression du salaire mensuel de base est la plus forte (+4,8 % sur un an au 3e trimestre 2022). À l’inverse, dans le secteur de la production et la distribution d’électricité et de gaz, la proportion de salariés bénéficiaires de la revalorisation du Smic est la plus faible (0,5 %), de même que la progression du salaire de base (1,4 % entre les 3e trimestres 2021 et 2022).
Sur les derniers mois, les tensions de recrutement ne semblent pas jouer un rôle majeur dans la détermination des salaires
Outre la question de l’inflation, le contexte économique est marqué par un accroissement des tensions sur le marché du travail. De telles tensions pourraient contribuer aux hausses de salaires dans les métiers ou les secteurs les plus touchés. En pratique, en France, il ne semble pourtant pas que les tensions jouent un rôle majeur dans la détermination des salaires sur les derniers mois.
Plus précisément, depuis fin 2019, trois phases peuvent être distinguées dans l’évolution conjointe des tensions de recrutement et des salaires :
- Au cours de l’année 2020, en lien avec les mesures sanitaires, les difficultés de recrutement diminuent et les salaires évoluent peu.
- Avec la levée des restrictions sanitaires et la reprise du marché du travail, les tensions s’accroissent, sans accélération notable des salaires.
- Enfin, à partir de la fin de l’année 2021, au moment où l’inflation s’accroît, la progression des salaires devient plus soutenue, avec un renforcement plus ou moins fort des tensions selon les secteurs.
Dans l’hébergement-restauration par exemple, alors que 39 % des entreprises déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement en janvier 2020, elles sont désormais 74 % en octobre 2022 ; de leur côté, les salaires de base augmentent de 6,9 % entre décembre 2019 et septembre 2022 (graphique 5). Des hausses similaires des salaires de base sont observées dans d’autres secteurs d’activité, alors même que les tensions y augmentent nettement moins sur la période récente, comme la construction ou les industries agro-alimentaires.
Enfin, le niveau des difficultés de recrutement lui-même ne semble pas avoir d’effet majeur : la progression des salaires depuis la fin 2019 est comparable dans les secteurs des services aux entreprises, de l’hébergement-restauration et de la construction par exemple, alors que la part d’entreprises déclarant des difficultés de recrutement y est respectivement de 61, 74 et 80 % au 4e trimestre 2022.
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