Heures supplémentaires réalisées par un apprenti : qui doit prouver quoi ?
La preuve de la réalisation d’heures supplémentaires est partagée entre l’employeur et son apprenti. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans une décision du 25 janvier 2023.
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
C’est ce principe, appliqué au contrat d’apprentissage, que les juges de la Haute cour rappellent dans leur décision du 25 janvier 2023.
Ils censurent les juges du fond qui avaient considéré que les pièces produites par l’apprentie n’étaient pas suffisamment précises quant aux heures non rémunérées qu’elle prétendait avoir accomplies ce qui ne permettait pas à son employeur, qui assurait le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Cette décision a l’intérêt de rappeler que l’exécution du contrat d’apprentissage n’échappe pas aux règles de droit commun du droit du travail concernant le régime de la preuve de la réalisation d’heures supplémentaires. Le principe est celui d’un partage de la preuve (article L3171-4 du Code du travail). Si, conformément au principe civiliste, l’apprenti doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies (article 1353 du Code civil), l’employeur doit pour sa part fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Force est de constater que le contentieux de la preuve des heures supplémentaires est plutôt favorable au salarié. La loi ne précisant pas ce qu’il faut entendre par « éléments » précis, les juges ont décidé que le salarié devait fournir préalablement au juge des éléments de nature à « étayer » sa demande et non à « prouver » la réalisation d’heures supplémentaires (Cass. Soc 25 février 2004, n°01-45.441 – Cass. Soc. 23 novembre 2017, n°16-21.749). D’une certaine manière, le salarié n’a pas à rapporter la preuve du bien fondé de sa demande (Cass. Soc. 10 mai 2007, n°05-45.932). Une telle position est conforme au principe de partage de responsabilité de la preuve.
Une seule exigence est posée par les juges : les éléments présentés par le salarié doivent être suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Il s’en déduit notamment que le salarié n’a pas à produire un récapitulatif quotidien ou hebdomadaire de son activité (Cass. Soc. 4 septembre 2019, 18-10.541 – Cass. Soc.6 juillet 2022, n° 20-17.287). Il n’a pas davantage à fournir des témoignages suffisamment circonstanciés dès lors que ces derniers permettent d’étayer suffisamment les décomptes qu’il fournis et un tableau relatif aux heures de transmission de mails est suffisamment fiable pour établir la durée de travail effectif et continu du salarié durant les périodes considérées (Cass. Soc. 5 janvier 2022, n° 20-16.172 ). Enfin, les documents produits par le salarié à l’appui de sa demande n’ont pas à avoir été approuvés par sa hiérarchie (Cass. Soc. 10 mai 2007, n°05-45.932).
Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 25 janvier 2023, l’apprentie avaient produit les éléments suivants : le protocole de médiation dans lequel l’apprentie disait effectuer de nombreuses heures supplémentaires et dans lequel l’employeur indiquait « qu’effectivement l’apprentie est amenée à faire des heures supplémentaires et que ses heures sont récupérées », la photocopie de certaines pages de l’agenda de l’apprentie, un relevé informatique d’heures générant un calcul du nombre d’heures supplémentaires effectuées, établi par l’apprentie, une attestation d’une collègue indiquant que toutes les heures supplémentaires qu’elle avait pu effectuer n’avaient été ni payées ni rattrapées, que ses horaires de travail n’avaient jamais été affichés dans le laboratoire et qu’elle n’avait jamais vu ou signé de fiche de pointage.
Les juges du fond avaient relevé un certain nombre d’incohérences entre le relevé d’heures informatique et l’agenda produit par l’apprenti concernant certaines journées de travail et que les deux pièces ne couvraient pas la période sur laquelle portait ses revendications. Ils en concluaient que les éléments produits par la salariée n’étaient pas de nature à étayer ses prétentions. La censure de la Haute cour est ferme : en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’apprentie présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, la Cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé l’article L3171-4 du Code du travail.
Cette décision doit inviter l’employeur d’apprenti à ne pas négliger ce qui constitue, souvent, un risque judiciaire significatif.
Source : https://www.centre-inffo.fr/
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