La formation des seniors : un investissement à long terme
Réforme des retraites ou non, les actifs français vont travailler jusqu’à un âge de plus en plus avancé dans les années qui viennent. Dans le même temps, le taux d’emploi des seniors progresse de façon continue depuis le début des années 2000. C’est donc arithmétique : il va falloir former davantage les salariés les plus âgés. Or, contrairement au ressenti de certains dirigeants, la formation des seniors est un investissement à long terme.
Les Français travaillent de plus en plus tard
Les seniors sont moins nombreux à travailler en France qu’ailleurs : 56% des Français de 55 à 64 ans sont en emploi, contre 61% en moyenne dans la zone Euro, 72% en Allemagne, et même 77% en Suède.
La tendance, cependant, est à la hausse : à la fin des années 1990, le taux d’emploi des seniors était tombé aux alentours de 30%. Sous l’effet des réformes des retraites, de l’évolution de la démographie et de l’accroissement du taux d’emploi des femmes, la proportion de 55-64 ans qui travaillent a entamé au début du siècle une remontée constante qui l’a conduite en 2021 à son plus haut niveau depuis 1975.
Source : Dares, Les seniors sur le marché du travail en 2021, janvier 2023.
Cependant, le taux d’emploi chute très rapidement après 60 ans. Selon l’OCDE, l’âge moyen de sortie du marché du travail est encore inférieur à 61 ans en France, contre plus de 63 ans en Allemagne et au Royaume-Uni. La réforme des retraites actuellement en discussion, en relevant encore l’âge de départ, devrait logiquement accroître le taux d’emploi des plus de 60 ans. Remarquons que le mouvement est général dans les pays développés : malgré une croissance constance du taux d’emploi des seniors, la France ne rattrape pas véritablement la moyenne des pays européens.
Source : Eurostat.
L’accès à la formation décroît avec l’âge
Or, les seniors sont de loin la tranche d’âge qui bénéficie le moins de la formation continue. Selon des chiffres que l’Insee tarde un peu à actualiser (les plus récents datent toujours de 2016), les 55-64 ans ne sont que 35% à avoir suivi une formation (formelle ou non formelle) au cours de l’année écoulée, contre 60% des 25-44 ans, et 51% en moyenne totale. L’OCDE donne des chiffres différents, mais la hiérarchie est la même : 13% des seniors suivent une formation chaque année, contre 31% en moyenne.
Source : Insee
Or, ils sont aussi les moins diplômés : selon l’Insee, 90% d’entre eux ont un niveau d’études initiales inférieur à la licence, contre 80% en moyenne, et 71% pour les 25-34 ans. Pour quelles raisons reçoivent-ils moins de formation ? Parmi les causes possibles, on peut mentionner :
- Une moindre appétence à la formation de leur part : les seniors peuvent avoir le sentiment qu’ils savent déjà ce qu’il y a à savoir, et qu’investir du temps et de l’énergie dans de la formation ne vaut pas forcément la peine compte tenu de la proximité de la retraite.
- Une réticence des employeurs à former les seniors, pour des raisons analogues. La formation a un coût, et l’entreprise peut considérer qu’il vaut mieux privilégier les plus jeunes par rapport à des salariés qui quitteront bientôt le monde du travail.
- Une inadaptation du système: les pédagogies et les outils technologiques déployés pourraient dissuader les plus âgés de participer à des actions de formation qui ne leur semblent pas destinés.
4 raisons de former les seniors
Il ne manque pourtant pas de raisons de former les seniors. Citons les principales.
- La part des seniors dans les effectifs des entreprises va augmenter. Pendant quelques années encore, les classes nombreuses du baby-boom (au sens large de générations nées entre 1945 et le début des années 1970) vont atteindre la tranche d’âge 55-64 ans. Par ailleurs, l’âge de cessation d’activité va reculer : c’est une conséquence des réformes des retraites antérieures, qui pourra être encore accentuée par celle de 2023.
Un autre facteur probable d’accroissement de la masse salariale des seniors est le projet d’ « index senior » porté par le gouvernement. Construit sur le modèle de l’index « égalité professionnelle », ce dispositif impliquerait l’obligation pour les entreprises de 300 salariés et plus d’afficher la proportion de salariés de 55 ans et plus parmi leurs effectifs. Les conséquences de cet index sont encore inconnues, mais il jouera dans le sens d’une augmentation de la part des seniors dans l’entreprise.
Dans ces conditions, la formation des seniors devient un enjeu de compétitivité.
- Les seniors sont des salariés stables. Il est facile de prédire combien un senior restera dans l’entreprise : le plus souvent, passé 55 ans, il est probable qu’il restera jusqu’à sa retraite, ce qui peut représenter 10 années de travail ou davantage. En effet, les seniors ont un taux de chômage (6,3%) inférieur au taux moyen (7,3%), mais quand ils sont au chômage, c’est pour longtemps : ils sont nettement plus souvent en chômage de longue durée que la moyenne des chômeurs (6 cas sur 10 contre 4 cas sur 10).
Ces salariés ont donc peu d’incitations à quitter leur emploi. Pour quelle autre tranche d’âge peut-on prédire avec un niveau aussi important de certitude une fidélité de 10 ans ou plus ? L’argument selon lequel former un senior relève d’une forme de gaspillage ne tient pas.
- Les seniors sont un réservoir de compétences. D’une part, à mesure que le temps passe, les générations qui n’ont pas connu une forme ou une autre de digitalisation au début de leur carrière se font plus rares. Les seniors d’aujourd’hui avaient entre 30 et 40 ans au moment de l’essor d’Internet et de ce qu’on appelait alors les « nouvelles technologies ». Ils ont en mémoire tout l’historique de la digitalisation et plusieurs vagues d’adaptation successives aux transformations technologiques. Tous, loin de là, ne sont pas rétifs au changement, et ils apportent une connaissance du passé et du métier qui peut en faire des ressources précieuses pour l’entreprise.
Ajoutons que d’ici une douzaine d’années, les « digital natives » (nés à partir de 1980) rejoindront eux-mêmes les rangs des salariés les plus âgés de l’entreprise. Les seniors ne sont plus ce qu’ils étaient !
- Des financements existent ou sont à l’étude. Pour le moment, le projet de réforme ne prévoit pas de dispositif spécifique de financement de la formation des seniors. Le renforcement du compte personnel de prévention (C2P) et la création d’un congé de reconversion pour les salariés qui exercent des métiers pénibles pourrait cependant correspondre aux situations de certains collaborateurs en dernière partie de carrière. Et des outils existent déjà : le CPF (qui pourrait devenir plus propice aux projets de formation co-construits avec la mise en place du reste à charge), Pro-A (pour les salariés qui ont un niveau de formation inférieur à la licence), Transitions pro (l’ex-Cif), Transco…
L’Université d’hiver de la formation professionnelle a été l’occasion pour les acteurs du secteur d’avancer des propositions en matière de financement et de développement de la formation à destination des seniors et de leurs projets de reconversion.
Seniors et pédagogie
L’un des principaux freins psychologiques à la formation des seniors réside dans la conviction, assez largement partagée, qu’il est plus difficile d’apprendre quand on est plus âgé. La réalité est plus complexe : les neurosciences semblent nous montrer aujourd’hui que les personnes plus âgées apprennent différemment.
Une étude canadienne évoquée dans cet article a ainsi comparé les performances d’un groupe de jeunes et d’un groupe de personnes de plus de 65 ans dans l’apprentissage de 100 mots d’espagnol sur 3 semaines. Les deux groupes ont obtenu des résultats comparables ; mais l’imagerie cérébrale a montré que les zones du cerveau mobilisées par les seniors n’étaient pas les mêmes que celles qu’utilisent les jeunes cerveaux. Les plus âgés utilisent en fait leur expérience générale du monde pour faciliter l’acquisition de nouvelles connaissances.
Dans le même temps, la complexité et l’importance de leur corpus de connaissances rend plus difficile l’acquisition d’informations entièrement nouvelles, surtout si elles supposent la remise en cause de repères existants. Les seniors n’apprennent donc pas exactement de la même façon que les jeunes, mais ils peuvent parfaitement apprendre.
La diversification des outils d’apprentissage, et en particulier l’émergence d’outils permettant d’individualiser davantage les formations, devraient permettre d’accroître l’efficacité de la transmission de connaissances en direction des différents publics seniors.
La retraite à 60 ans, décidée en 1982 (et même en 1977 pour les femmes !), a durablement marqué l’entreprise française et la chronologie des carrières. La fin de la cinquantaine arrivant, les salariés comme leurs employeurs commençaient à envisager la sortie de vie professionnelle. Dans le même temps, les jeunes accédaient de plus en plus tard au marché du travail. Ainsi, pendant plusieurs décennies, les 35-55 ans ont soutenu l’essentiel de l’effort productif. Nous sommes en train de sortir progressivement de ce schéma, et l’un des corollaires en sera la banalisation croissante de la formation des seniors. Cette dernière devra de plus en plus être considérée comme un investissement à long terme, que l’on considère la question d’un point de vue macro (l’économie dans son ensemble) ou micro (l’entreprise).
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